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Un cinéma d’eaux coloriées

Au commencement était une belle boîte d’aquarelles, un peu d’eau, un pinceau aux poils souples et puis un inlassable va-et-vient en forme de triangle entre la main, l’œil et le papier. Le papier en tant que mare aux eaux fraîches qui peut vite tourner au bayou comme une mauvaise mayonnaise si l’on n’y prend garde. L’art de l’aquarelle est celui d’imbiber, parfois jusqu’à fleur de crue, de générer des ruisseaux clairs aux boues interdites. De ces humidités peuvent émerger un quidam poursuivi par un squelette le long de murs mous, une épaisse tête qui lorgne dans une autre, éventrée, ouvrant sur une route de campagne, une autre encore dont lui pousse un enfant élastique depuis sa joue gauche. Aussi un type proprement décervelé qui descend un escalier le long de sapins plantés à quarante-cinq degrés, le même qui tombe du ciel, ciel se muant en un cheval bleu poursuivant son trot dans la flore d’un papier peint. Et puis une maison en feu aux flammes empruntant la silhouette des occupants qui se sauvent, un train fantôme surgissant d’une cheminée dans un salon désuet au plancher cloué d’énigmes, une femme à trois têtes qui caresse un cochon hilare. Et ce type, toujours le même, au crâne en forme de tempête, d’île en feu ou d’entrée de cratère phosphorescent. Tout ce beau monde – cette fine équipe triée sur le volet à l’entrée de ce tripot aux miracles –  crie, régurgite, halète, couine, grimace, éructe, ricane au bord des incendies ou de la noyade. Daniel Daniel est l’auteur de ce cinéma d’eaux coloriées – colorier des eaux est une prouesse d’éclusier, une jonglerie avec des rivières. Alors bien sûr tout ce petit peuple figuré il vous faudra l’animer vous-mêmes. Ces films fixes sont sans fin, les fins toutes crédibles, à vous de jouer, chaque regardeur étant un mécanicien de la chose visuelle s’il désire qu’elle fonctionne. Vous ne pourrez pas vous raccrocher à un réel fainéant ni à un imaginaire pensé pour vous. Des histoires et encore des histoires vous sautent aux yeux, vous ne rêvez pas – et c’est bien dommage – mais Daniel ne s’en prive pas, il aurait tort. Il a cette faculté rare de mettre en images les manèges liquides et vertigineux qui tournent sans cesse dans nos têtes.

François Liénard, octobre 2011.


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